Pierre Gassendi

Pierre Gassendi.

Statue de Pierre Gassendi à Digne-les-Bains

 

”Il est bien révoltant de supprimer tant de bonnes choses, à cause de quelques mauvaises ,
et de couper la roseraie, parce qu’au milieu des roses, il y a aussi des épines. »
Pierre Gassendi, 1647, Vie et Mœurs d’Épicure.

 

De l’astronomie à l’atomisme :

Pierre Gassendi est né à Champtercier le 22 janvier 1592, près de Digne-les-Bains, dans les Alpes de Haute-Provence.

Vue d’Artiste de la maison natale de Pierre Gassendi à Champtercier

 


Mais revenons à Pierre Gassendi, et revenons à nos moutons !

   Après avoir commencé ses études au collège de Digne, il suit des cours de philosophie à l’université d’Aix.
En 1614, Gassendi a 22 ans, et après l’obtention d’un doctorat de théologie à Avignon, il est nommé professeur de rhétorique et chanoine à Digne.
Puis professeur de philosophie à Aix, mais il semblerait qu’il en ait été chassé suite à l’arrivée des jésuites !

Pierre Gassendi à Aix. Dessin à la craie noire par Claude Mellan qui fera par la suite une gravure d’après ce dessin.

Il terminera sa vie le 24 octobre 1655 à Paris, après avoir été nommé, dix ans auparavant, professeur de mathématiques au Collège Royal devenu depuis le Collège de France.
Pierre Gassendi est le type même de l’humaniste polyvalent : il est à la fois astronome, mathématicien, philosophe, théologien et biographe.

Outre son ouvrage La Vie de Peiresc (Vita Peireskii), on lui doit de précieuses biographies sur les astronomes Regiomontanus, Copernic, Tycho Brahe et Kepler.
Mais c’est en astronomie et en philosophie que ses travaux seront les plus durables.

Fils de cultivateurs fort peu aisés, Pierre Gassendi aurait dès son enfance contracté sa passion pour les choses du ciel en gardant le troupeau familial de nuit.
D’ailleurs, il se dit que l’expression bien connue “… Il faut en revenir à nos moutons !” aurait été inventé par Pierre Gassendi lui-même, qui alors enfant, lorsqu’il gardait les bêtes de sa famille, allongé dans les herbes fraîches de la nuit, regardait fasciné les étoiles du ciel limpide de Provence… puis revenait rapidement à lui et à ses moutons, lorsqu’il ne les entendait plus si près !!! 😀

Graphomètre à pinnules.

   Toute sa vie il ne cessera d’observer, utilisant à la fois des lunettes et des instruments à pinnules. Pendant ce premier demi-siècle d’existence des lunettes, les deux méthodes se pratiquent en effet en parallèle : avec les lunettes on cherche à faire des découvertes, avec les instruments traditionnels comme le quart de cercle ou le rayon astronomique que l’on utilise à l’œil nu, on prend les mesures, ce que les lunettes ne permettent pas encore de faire.

sources => https://pg-astro.fr

   Les taches solaires sont l’une des grandes nouveautés révélées par la lunette, mais dans un premier temps elles ne sont pas comprises.
À l’époque de Gassendi, il faut multiplier les observations pour essayer de déterminer leur vraie nature.
Les taches sont-elles sur la surface du Soleil, ou de petits satellites tournant autour de lui ? Sont-elles des nuages, ou bien une imperfection de la lunette elle-même ?

   Gassendi commence ses observations en 1620 et en fait une longue série, avec un regain d’activité autour de 1626, l’année des premiers travaux de Christoph Scheiner sur la question, qui prend les taches pour des satellites. Gassendi suit au contraire Galilée, en les considérant comme des marques sur la surface du Soleil, et donc une preuve de la rotation de notre étoile.

   À partir de ses observations des taches, il détermine la vitesse de rotation du Soleil, obtenant une estimation de 25 à 26 jours, résultat assez remarquable pour ces valeurs qui varient selon la latitude.

Malheureusement, la plupart des observations solaires de Gassendi, faites avant la période où il a conservé systématiquement ses notes dans des cahiers, ont été perdues. Par la suite, Gassendi devient l’un des premiers astronomes à comprendre l’importance que peut avoir un recueil d’observations.
Le 27 septembre 1635, il écrit donc à Peiresc ceci :

“… Pour empêcher que ces papillotes ou plumitifs de mes observations ne s’égarent plus, j’ai commencé depuis quelque temps d’écrire le tout en une main de papier toute entière que j’ai cousue et couverte en parchemin à ce dessein.”

Son diaire (journal astronomique) est né, en même temps que la reconnaissance de la nature essentiellement historique de l’astronomie, qui le poussera à organiser et préserver ses propres observations.

Gravures de la Lune par Claude Mellan, d’après les directives de Gassendi et Peiresc.

   Le projet d’Atlas Lunaire mené conjointement par Gassendi et Peiresc à partir de 1634 ne sera pas achevé, hélas. De septembre à décembre 1636, on peut suivre les observations de la Lune dans le diaire de Gassendi. Malheureusement, la mort de Peiresc le 24 juin 1637 met un terme à la préparation de l’Atlas Lunaire. Claude Mellan reste à Paris et Gassendi, très affecté par le décès de Peiresc, abandonne définitivement le projet. Ainsi qu’il l’explique dans sa Vie de Peiresc (Vita Peireskii) leur objectif, outre le pur intérêt astronomique, était d’ordre cosmologique, s’agissant de mettre en évidence le fait que le globe de la Lune est semblable au globe terrestre, et d’avaliser l’intuition de Galilée sur la profonde unité entre la physique terrestre et la physique céleste.

Peiresc et Gassendi ne sont pas les premiers astronomes à avoir dessiné la Lune. Dans ce travail comme pour beaucoup d’autres, ils ont suivi le chemin indiqué par Galilée, auquel on peut ajouter d’autres noms comme Thomas Harriot (qui fit le tout premier croquis de la Lune connu le 5 avril 1609) Scheiner ou Biancani. Mais ils ont été les premiers à concevoir la composition d’un Atlas Lunaire complet, s’inscrivant ainsi dans la lignée des émules de Galilée, soucieux de dresser un inventaire précis du ciel à l’aide de la lunette astronomique, et de l’appliquer aux besoins de la vie pratique.

Dans le diaire de Gassendi on constate qu’il a observé les planètes autant qu’il le pouvait. Au sujet de la planète Mars, il s’occupe de déterminer la distance angulaire aux étoiles, et à propos de Jupiter il poursuit le programme d’observations des satellites entrepris par Peiresc. Il s’intéresse et s’interroge de l’étrange forme changeante de Saturne, sans soupçonner toutefois l’existence des anneaux qui caractérisent la planète.
La découverte des anneaux de Saturne sera faite par Christiaan Huygens en 1655, année de la mort de Gassendi.

Mais de toutes les observations planétaires de Gassendi, la plus importante est incontestablement celle du passage de Mercure devant le Soleil du 7 novembre 1631. Pour qu’une planète transite sur le disque solaire, elle doit passer entre la Terre et le Soleil. Seules Mercure et Vénus peuvent être observées de la Terre lors de leur transit. De tels passages arrivent toujours aux mois de mai et novembre aux alentours respectivement du 7 et du 9 du mois. Concernant Mercure, on peut s’attendre à ce que le phénomène se répète tous les sept, treize ou quarante-six ans. C’est donc une observation rare, ce qui explique l’intérêt des astronomes.

Le passage de Mercure devant le Soleil du 7 novembre 1631 est le premier transit à avoir été prédit et consciencieusement observé. Une des raisons était la difficulté de savoir exactement quand cela allait se passer. Les tables dont disposent les astronomes au début du XVIIe siècle sont encore très peu fiables. Néanmoins, dans les éphémérides que Kepler a calculées pour 1629 / 1631 sur la base de ses célèbres Tables Rudolphines de 1627, l’astronome allemand a ajouté une note, Admonitio, indiquant que le 7 novembre 1631 Mercure ferait un passage sur le Soleil, visible en Europe. En 1630, après la mort de Kepler, son gendre Jacob Bartsch fait réimprimer l’Avertissement aux astronomes.
Gassendi, comme d’autres astronomes d’Europe, lit la publication de Kepler et fait alors ses préparatifs d’observation. Avec Peiresc, ils alertent leur réseau d’astronomes en Provence. Puisque Peiresc n’a pas lu l’Admonitio de Kepler, le 9 juillet 1631 Gassendi lui écrit une longue lettre d’informations et d’instructions. Gassendi est à Paris à cette époque, et ne s’attend pas à voir grand-chose, avec une situation géographique autant au nord et en plein mois de novembre, il pense que ses observations seront incertaines. Il compte plutôt sur Peiresc et ses associés sous les beaux cieux de Provence.

Novembre arrive et la période où Mercure doit traverser le disque solaire aussi. Hélas en Provence, ni Peiresc, ni Gaultier, ni aucun autre membre du groupe provençal ne voit quoi que ce soit. De fait et contre toute attente, c’est Gassendi à Paris qui sera le seul en France, à pouvoir faire l’observation !
Il est vrai qu’il s’est donné beaucoup de mal. On ne peut pas observer la planète à l’œil nu, il a l’idée de faire projeter son image sur une feuille de papier, probablement avec un Hélioscopium. Il commence sa veille le 5 novembre, sous une pluie incessante ; le 6 il ne voit le Soleil que brièvement à travers le brouillard. Mais le 7, le Soleil apparaît clairement par périodes, et Mercure est bien visible sur sa surface, même si Gassendi a des difficultés à le reconnaître en raison de la petitesse de la tache noire.
Il publie le détail de ses observations dans un opuscule intitulé Mercurius in sole visus. (Texte en Latin (PDF) ICI)

Si Gassendi est très étonné par la petitesse de Mercure, ses observations confirment les prédictions de Galilée que les astres sont beaucoup plus petits qu’ils ne semblent et que ce que les astronomes avaient pensé jusque là. Surtout, l’observation de Gassendi permet de renforcer l’autorité des Tables Rudolphines de Kepler, et plus généralement confirme l’efficacité des méthodes de la nouvelle astronomie. Elle obligera également les astronomes à réexaminer la question des diamètres stellaires et planétaires, et donc leur distance par rapport à la Terre et au Soleil.

Hélioscopium
Tâches solaire, par Sheiner en 1611
Hélioscope

  Pendant toute sa carrière d’astronome expérimenté, Gassendi a rarement manqué d’observer une éclipse soit de la Lune, soit du Soleil, poursuivant ses observations “comme le chat après la souris”, comme il l’écrit lui-même.

La liste de ses observations est longue, elle est échelonnées sur une période de trente ans. Ce qu’il faut retenir de cela, c’est le soin extrême qu’il y a toujours porté à ces observations, et que cette rigueur marque une étape essentielle dans le développement de l’astronomie; Et ainsi la seconde moitié du XVIIe siècle voit apparaître une astronomie de précision devançant celle qui existait auparavant, ce qui est en partie une des conséquences des techniques utilisées et améliorées par Gassendi et qu’il transmettra à la génération suivante.

Collège Royal devenu Collège de France – Paris –

Le cours que Gassendi a professé au Collège Royal, édité sous le titre de Institutio astronomica … (1647), est devenu un manuel estimé en France, en Angleterre, en Italie et en Amérique.
Gassendi est identifié à l’astronomie nouvelle, notamment grâce à ses travaux pratiques, ses biographies de Copernic, Tycho Brahe et Kepler et aussi à son observation du passage de Mercure devant le Soleil. Plusieurs fois réédité, son manuel est bien présent dans les bibliothèques publiques et privées, en parralèle avec d’autres textes de l’astronomie moderne et révolutionnaire de Copernic, Galilée et Kepler.

Philosophiquement, Gassendi peut être classé parmi les atomistes et, surtout, parmi les épicuriens qu’il contribue à réhabiliter, ce qui peut surprendre quelque peu de la part d’un ecclésiastique (Chamoine puis Prévot de la Cathédrale de Digne) !
Très tôt, il s’oppose aux thèses officielles de l’aristotélisme et  soutient activement Galilée dans sa dénonciation du géocentrisme. Il s’oppose également à toute forme d’obscurantisme, notamment l’astrologie.
Pour les savants italiens, les travaux de Gassendi ont une importance particulière. En effet, ceux-ci sont surveillés par une église autoritaire et réactionnaire, et sont particulièrement intimidés par la condamnation de Galilée mais, comme lui, expérimentateurs et empiristes, ils sont à la recherche d’un cadre philosophique pour expliquer et ordonner les faits mis en évidence par les expériences fragmentaires de l’époque.
Le système de Gassendi, à savoir l’ancien système atomiste d’Épicure purgé de ses tendances athées, offre à l’intelligentsia italienne une alternative au néo-aristotélisme, sans aller vers le mécanisme déterministe de René Descartes avec lequel Gassendi a eu une longue dispute épistolaire. Pour eux, Gassendi est devenu le complément naturel de Galilée.

Sans aller, comme Giordano Bruno, jusqu’à défendre l’idée d’une pluralité des mondes – théorie qu’il ne peut admettre au regard de ses conséquences théologiques –, Gassendi, qui possédait un exemplaire du De Immenso, laisse affleurer dans ses ouvrages son accord avec l’aspect cosmologique des thèses de Bruno, notamment l’idée que les étoiles sont d’autres soleils, éventuellement entourés de planètes. À l’exemple de l’héliocentriste anglais Thomas Digges, il imagine que les étoiles ne sont pas fixées à la surface de la dernière sphère du monde, mais dispersées sans ordre dans l’Univers, sans être organisées en couches concentriques comme avait pu le suggérer Kepler.

    Gassendi envisage enfin que les planètes du Système Solaire sont habitées, tout en prenant soin de mettre en garde contre les concepts anthropomorphiques appliqués aux conceptions du vivant. La notion de vie extraterrestre était né au travers des réflexions de Gassendi 😉

L’influence la plus importante des écrits de Pierre Gassendi en Angleterre s’est exercée sur John Locke et Isaac Newton.
L’importance générale de l’humaniste français sur l’Essay on Human Understanding (1690) a été décrit ainsi par Leibniz :
 “Cet auteur (Locke) semble volontiers en accord avec la pensée de Gassendi, qui est fondamentalement celle de Démocrite : il soutient le vide et les atomes, il croit que la matière pourrait penser, qu’il n’y a pas d’idées innées, que notre esprit est une table rase et que nous ne pensons pas tout le temps ; et il semble disposé à s’accorder avec la plupart des objections de Pierre Gassendi contre René Descartes.”

 

Le Matérialisme, le Libertinage et l’Éthique :

  ATTENTION : SVP, ne vous méprenez surtout pas, le Libertinage en question n’a rien à voir avec la notion ‘moderne‘ de ce que cela évoque peut-être pour vous !
Ici et à cette époque, il s’agit exclusivement de la Liberté d’Esprit, de la Liberté de penser au-delà du carcan étouffant de la religion omniprésente (tout en la respectant, bien entendu)
Ce Groupe d’Érudits étant très certainement ‘secret‘. Souvenons-nous qu’au même moment, Galilée était soumis à la question par la Sainte Inquisition, et emprisonné.
   Le Saint-Office de l’inquisition lui reprochait ceci : “.. Comme ainsi soit que toi, Galileo Galilei, fils de Vincenzo Galileo, florentin, âgé de 70 ans, dénoncé à ce Saint-Office pour ce que tu tenais pour véritable la fausse doctrine, enseignée par aucuns, que le soleil est le centre du monde et immobile et que la terre ne l’était pas et se remuait d’un mouvement journalier. …”

Galilée (né à Pise en 1564 – décédé à Arcetri en 1642)

   Galilée abjura :Moi, Galileo Galilei, florentin, physiquement présent devant ce tribunal, agenouillé devant vous, Très Éminents et Révérends cardinaux inquisiteurs dans toute la République chrétienne contre la perversité hérétique, ayant sous les yeux les sacro-saints évangiles que je touche de mes propres mains.
Je jure que j’ai toujours cru, que je crois maintenant et qu’avec l’aide de Dieu je continuerai à croire tout ce que tient pour vrai, prêche et enseigne la Sainte-Église catholique, apostolique et romaine. Attendu que ce Saint-Office m’avait intimé juridiquement l’ordre d’abandonner la fausse opinion selon laquelle le Soleil est au centre du monde et immobile tandis que la Terre n’est pas au centre du monde et qu’elle est mobile.
Attendu que je ne pouvais enseigner en aucune façon la dite fausse doctrine, après qu’elle m’eût été notifiée contraire à la Sainte-Écriture, Attendu, d’autre part, que j’ai écrit et donné à imprimer un livre dans lequel je traite de la doctrine déjà condamnée, en y apportant des raisons très efficaces en sa faveur,
J’ai été jugé véhémentement suspect d’hérésie.
Par conséquent, je viens d’un cœur sincère et d’une foi non feinte abjurer, maudire et détester les susdites erreurs et hérésies et en général toute erreur, hérésie et secte contraire à la Sainte-Église. Et je jure qu’à l’avenir, je ne dirai ni affirmerai jamais plus, ni verbalement ni par écrit, des choses qui puissent me rendre suspect d’hérésie.
Moi, Galileo Galilei, j’ai abjuré et signé de ma propre main.
Rome, couvent Santa Maria sopra Minerva, le 22 juin 1633.

(Autre source sur le procès de Galilée, d’après des archives du Vatican)

Donc :

La nature profonde de l’atomisme de Gassendi a amené de nombreux commentateurs, de Descartes à Marx, à le considérer comme prenant toutes les structures et tous les comportements matériels pour s’expliquer par l’interaction des corps matériels.
Selon cette image, Gassendi laisse peu de place à l’existence d’une substance non matérielle ou à sa pertinence pour les récits métaphysiques ou naturels. Une preuve putative du matérialisme dans le corpus de Gassendi est son extension de l’explication atomiste, de tous les phénomènes physiques à un large éventail de phénomènes non physiques, y compris des aspects du mental, du social et de l’éthique. Ce n’est pas tout à fait convaincant, car nous avons vu que les fondements matériels de nos appareils mentaux ne concernent qu’une partie de sa psychologie.

Un deuxième élément de preuve évocateur du matérialisme de Gassendi est le caractère historiographique et rhétorique. Épicure et Lucrèce étaient les grands anciens matérialistes, Gassendi était leur grand représentant moderne, Gassendi aussi était un matérialiste, malgré ses doutes sur l’Église. Cette thèse nécessite de penser que Gassendi a des vues étroites sur l’Église et les Écrits Saints, et beaucoup de ses vues sont très nuancées à cet égard (sa position sur Galilée) Il n’est pas clair, cependant, que Gassendi ne veuille rien d’autre qu’un ensemble de comptes rendus soigneusement délimités sur des éléments matérialistes, dans ce qu’il considère être le domaine propre du physique. Strictement parlant, cependant, le matérialisme n’est pas une doctrine par degrés et le domaine proposé par Gassendi s’étend au-delà de la portée d’autres points de vue opposés, ce qui ne fait pas de lui un matérialiste au sens pur.

Un troisième élément de preuve suggestif a été l’adhésion de Gassendi au groupe connu sous le nom des libertins érudits . Guy Patin, Pierre Charron, François Le Vayer La Mothe, Gabriel Naudé, Théophile de Viau et Savinien de Cyrano dit “de Bergerac” étaient également membres de ce groupe diversifié.
Molière est aussi parfois considéré comme ayant appartenu aux libertins , et il aurait étudié sous la tutelle informelle de Gassendi (Sortais 1922) tout comme Jean de la Fontaine.
Les liens de Gassendi avec les libertins l’ont également amené à entrer en contact avec divers autres intellectuels et artistes, notamment Nicolas Poussin. Les libertins, qui constituent davantage un salon littéraire que le cercle de Marin Mersenne, à vocation philosophique et scientifique, ont promu une morale déterminée par la raison, dépouillée de considérations théologiques et définie sur une base individualiste. Dans leur attachement à la liberté intellectuelle, ils ont professé un mélange diversifié de points de vue métaphysiques et épistémiques, en particulier le matérialisme, le scepticisme, le rationalisme, le déisme et l’épicurisme, chaque partie du groupe offrant un mélange d’idées de haute qualité.
Ils étaient politiquement et socialement assez habiles pour promouvoir leurs opinions libertines d’une manière et dans un style qui sont à la limite du secret. Le secret de l’écriture et du style rhétorique de Gassendi peut être considéré comme une force stylistique, car il fait fréquemment des allusions susceptibles d’être comprises uniquement par ses amis ou par les érudits, en tirant constamment des expressions de sources anciennes pour faire ses propres remarques, et offre une variété d’éléments rhétoriques quasi codés, dont le plus célèbre est son approbation quelque peu hésitante et qualifiée du modèle copernicien.

En raison de leur conception largement individualiste de l’éthique – et conformément à la tradition de la Renaissance tardive, les libertins avaient tendance à éviter la théorie politique et les questions sociales plus vastes, en se concentrant sur l’autonomie et la moralité comprises en termes de caractère. Gassendi suit généralement cette conception dans son éthique (Sarasohn 1996) bien qu’il définisse également une théorie politique plus large (Paganini, 1989-1990)
Outre les éléments de son éthique et de sa rhétorique, la question de l’effet de l’association de Gassendi avec les libertins sur son point de vue, ou de l’influence qu’il a pu avoir sur eux, n’est pas évidente.
Dans un domaine en particulier, l’obéissance à l’Église et ses enseignements, il diffère considérablement de ses homologues libertins .
Gassendi souligne régulièrement le caractère sacré de l’Écriture Sainte, et de la nécessité (ainsi que les avantages) de modifier la pensée épicurienne pour répondre aux restrictions des dogmes acceptés. Cette adhésion suggère que les intérêts de Gassendi dans la responsabilité personnelle, l’investigation empirique et la nature sous-jacente de la matière n’ont pas signalé un humanisme athée consommé, le déni de l’activité spirituelle ou le matérialisme. En tout cas, on pourrait supposer que son éthique novatrice, sa méthode scientifique et sa physique ont été artificiellement limitées par ses croyances canoniques. Une lecture plus précise est qu’il a tracé une ligne entre les orthodoxies de l’Église et les alternatives les plus radicales associées à la philosophie mécanique et à l’éthique moderne des débuts, telles que nous les trouvons dans Hobbes. Gassendi était un penseur moderne modéré, promouvant le nouveau dans un contexte d »opposition dont il connaissait très bien le potentiel.

   Bien que nous manquions de raisons pour appeler Gassendi un moraliste matérialiste complet, un examen approfondi de son éthique peut suggérer des liens étroits avec sa physique, à la manière de Hobbesian (Sarasohn, 1996). Ce parallèle ne devrait pas être pris trop loin: Gassendi et Hobbes divergent quant à leur point de vue sur l’agence humaine et ne sont pas d’accord sur notre capacité de délibération morale illimitée et non déterminée physiquement. Cependant, ils acceptent chacun que le plaisir motive en quelque sorte le choix moral (bien que Gassendi prenne également en compte le rôle de l »appétit irrationnel)

   En effet, dans la mesure où Gassendi considère le plaisir comme un phénomène matérialisé, il partage le point de vue de Hobbes sur la moralité correcte comme quelque chose qui peut être défini en termes physiques. Cependant, selon Gassendi et les leçons qu’il tire de ses sources épicuriennes et stoïciennes, tout plaisir lié à une relation spirituelle l’emporte sur tout plaisir lié à la matière. Les plaisirs les plus sincères, donc les biens, sont définis selon les principes de l’ataraxie épicurienne (atteinte de la tranquillité) et des vertus chrétiennes, notamment l’amour de Dieu, l’amitié et la bonne volonté entre les personnes. La garantie de notre capacité à rechercher la tranquillité ou à accomplir ces vertus est notre jugement intellectuel libre (libertas)
Une telle liberté consiste dans la capacité de nos intelligences à choisir entre le bien et le mal, et ceci est notre tour qui donne notre capacité de volonté ou de libre arbitre.

Le libre arbitre et la capacité d’exercer une conscience sont également des concepts clés qui sous-tendent les vues de Gassendi sur la société et le corps politique. Gassendi est d’accord avec Hobbes (et partage une inspiration lucrétienne. Sarasohn 1996) selon laquelle les individus dans un cadre pré-social sont motivés par la peur et le désir d’amélioration, ce qui les amène à s’engager dans un droit commun. Pour Hobbes, cette motivation est induite mécaniquement et la richesse commune implique de renoncer aux droits individuels en échange de la sécurité. Pour Gassendi, en revanche, la motivation est produite par une réflexion raisonnée irréductible, en faveur de la stabilité de la convention sociale. De plus, ce contrat social laisse au moins intact les libertés qui, dans un premier temps, figuraient dans le choix rationnel du contrat par rapport à l’insécurité individuelle. Gassendi dérive d’un physicalisme strict, proposant que les sociétés soient organisées par des accords sociaux choisis par des opérations de l’animosité immatérielle.


Ci-dessous, galerie de portraits d’illustres savants, à l’époque de Gassendi et Peiresc.

Pierre Gassendi

Sources :
Université de Harvard
https://pg-astro.fr
http://www.gassendi.fr
Stanford Encyclopedia of Philosophy
gallica.bnf.fr
http://inference-review.com/
https://www.astronomes.com/lhistoire-de-lastronomie
Hotel Drouot (enchères)

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